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  Depuis l’enterrement, impossible de remettre la main dessus. Marie l’avait cherché partout : avec ses amies, dans les bars ; sous les draps, dans les bras de son amant ; à la bibliothèque ; au cinéma ; dans sa cage d’ascenseur ; au travail...

  En désespoir de cause, ce matin, elle avait même été faire un tour à la salle de sport, où elle n’avait plus mis les pieds depuis des mois. Mais ni sur le tapis de course ni sur le banc de musculation, elle n’avait retrouvé le sourire.

  Tout juste avait-elle arrêté, par instants, de ruminer des pensées noires, focalisant son attention sur l’écran de performances qui mesurait la progression de sa foulée et de son rythme cardiaque, continuant à courir, encore et encore, jusqu’à l’épuisement le plus total. Puis, elle avait marché tant bien que mal jusqu’à la bouche de métro la plus proche, s’était engouffrée dans la première rame venue et se tenait maintenant avachie sur son siège, son sac de sport sur les genoux, menaçant, à défaut d’avoir retrouvé le sourire, de sombrer dans le sommeil qui la fuyait depuis des semaines.

  Les yeux à demi ouverts, elle regardait d’un air absent ses voisins. En face d’elle, se découpait derrière son journal le visage énigmatique d’un individu en costume noir et aux cheveux gominés. A la droite de celui-ci, la joue contre la vitre, une vieille dame affublée d’un chapeau que Marie trouvait affreusement ringard regardait défiler la paroi métallique. Dans le carré voyageur d’à côté, un collégien grignotait une tablette de chocolat, absorbé par la musique électronique qui sortait de ses écouteurs. A côté de Marie, enfin, un étudiant au regard nerveux tapotait machinalement ses genoux de ses mains osseuses et veinées.

  Soudain, à la station suivante, un mendiant entra dans le wagon et s’adressa à eux d’une voix stridente qui tira Marie de sa léthargie passagère. L’individu en costume leva la tête de son journal, la vieille dame cessa momentanément de regarder par la vitre, le collégien retira ses écouteurs et les mains de l’étudiant s’immobilisèrent sur ses genoux, au grand soulagement de Marie.

  « Je sais que nous sommes beaucoup, de plus en plus nombreux à vous solliciter. Je m’appelle Alex, je suis SDF. Avant, je travaillais dans la maçonnerie à Saint-Nazaire. Je n’ai pas de revenus, pas d’Assédic et je suis trop jeune pour toucher le RSA. Si vous avez une pièce ou un ticket-restaurant, ça m’aiderait à me payer une chambre et un repas décent. Si vous avez un fruit, un carré de chocolat, un morceau de pain, ou juste un sourire, c’est bien aussi. »

  Une fois sa tirade achevée, il circula parmi les voyageurs, murmurant le mot « merci » chaque fois qu’on lui donnait quelque chose.

  L’individu en costume sortit de sa sacoche un carnet de tickets-restaurant et lui souhaita bon courage, la vieille dame ouvrit son cabas et lui offrit un sachet de raisins secs en priant pour que Dieu le bénisse, le collégien hésita un instant puis brisa sa tablette de chocolat en deux, se séparant généreusement de la plus grosse moitié, l’étudiant tapota la poche de son jean et lui tendit une pièce de deux euros. Marie avait laissé son portefeuille à la maison.

  Le mendiant planta son regard dans le sien, deux grands yeux bleus noyés dans le chagrin, habités par une lueur d’abnégation et de dignité, qui pénétrèrent en elle comme la lame d’un couteau. Elle s’apprêtait à s’excuser de ne pas avoir de monnaie lorsqu’un sourire involontaire se dessina sur son visage, le premier depuis l’enterrement, plein de pitié et de compassion.

  « Merci » murmura le mendiant, et il ressortit de la rame.

  C’est alors que Marie se réveilla. En face d’elle, se découpait derrière son journal le visage énigmatique de l’individu en costume noir. A la droite de celui-ci, la joue contre la vitre, la vieille dame affublée du chapeau que Marie trouvait affreusement ringard regardait défiler la paroi métallique. Dans le carré voyageur d’à côté, le collégien grignotait sa tablette de chocolat, absorbé par la musique électronique qui sortait de ses écouteurs. A côté de Marie, enfin, l’étudiant au regard nerveux tapotait machinalement ses genoux de ses mains osseuses et veinées. Le mendiant achevait sa tirade :

  « Si vous avez un fruit, un carré de chocolat, un morceau de pain, ou juste un sourire, c’est bien aussi. »

  L’individu en costume serra sa sacoche contre lui tandis qu’il circulait parmi les voyageurs ; la vieille dame garda la joue collée contre la vitre, une lueur de panique s’était allumée dans le reflet de ses prunelles ; le collégien continua à grignoter comme si de rien n’était, léchant ses doigts sous les yeux du mendiant ; l’étudiant au regard nerveux tapota la poche de son jean et lui tendit une pièce de vingt centimes.

  Le mendiant planta son regard dans celui de Marie, deux grands yeux bleus noyés dans le chagrin, habités par une lueur d’abnégation et de dignité, qui pénétrèrent en elle comme la lame d’un couteau. Elle s’excusa de ne pas avoir de monnaie.

  « Bonne journée » murmura le mendiant, et il ressortit de la rame.

  A la station suivante, Marie descendit à son tour. Elle acheta un bouquet de chrysanthèmes chez le fleuriste et se rendit là où elle l’avait vu pour la dernière fois, le sourire.

Tag(s) : #Nouvelle
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